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Le double langage des «musulmans de France» sur le djihad en Syrie

Amar Lasfar, président de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF) JACQUES DEMARTHON/AFP

FIGAROVOX/EXCLUSIF - Haoues Seniguer pointe du doigt les ambiguïtés de certains représentants de l'islam de France concernant le djihad en Syrie. Des collaborateurs de l'UOIF auraient signé un appel à une implication militaire de la part des musulmans du monde aux côtés des djihadistes.


Haoues Seniguer est chercheur au Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo) et enseignant à l'IEP de Lyon.


Les quatre journalistes retenus pendant 10 mois ont raconté que certains de leurs geôliers parlaient français. Près de 250 Français ou résidents en France seraient d'ores et déjà partis en Syrie. Comment expliquez-vous le silence des «musulmans de France» sur ce sujet?

Amar Lasfar, président de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), est quelque peu sorti de sa réserve à l'occasion du Congrès annuel du Bourget (18-21 avril 2014) en appelant les jeunes musulmans à ne pas rejoindre le front syrien et à fréquenter l'école pour s'éduquer. À ma connaissance, c'était l'une de toutes premières fois que l'un des représentants de l'UOIF s'exprimait aussi clairement à ce sujet. Quant à la Grande Mosquée de Paris (GMP) et le Conseil français du culte musulman (CFCM), je n'ai pas lu ou entendu de déclaration forte dans le sens d'une condamnation du djihad en Syrie et/ou d'une mise en garde explicite et audible aux musulmans de notre pays en vue de dissuader une partie d'entre eux de la tentation d'aller sur place. Plus généralement, les représentants réels ou supposés de l'islam de France sont extrêmement gênés par rapport à la question que vous posez et, plus globalement, sur le dossier syrien. J'avais d'ailleurs moi-même attiré l'attention du public en juillet 2013, sans réponse ou réaction significative de quiconque. Ces responsables font face à un dilemme: S'ils s'expriment, ils craignent, par eux-mêmes, de faire l'amalgame entre «islam», «islam de France» et «djihadisme», en plus de donner l'impression d'amalgamer leur public traditionnel et les candidats au djihad en Syrie. S'ils se taisent, alors ils courent le risque, le cas échéant, de verser dans un silence qui peut apparaître, en effet, comme complice. L'exercice et l'équilibre sont par conséquent extrêmement délicats. Enfin, il y a de fortes affinités idéologiques entre les membres de l'opposition syrienne, composée d'une bonne part de Frères musulmans, et ceux de l'UOIF.

Dans cet appel précisément, on peut lire, entre autres choses, que les musulmans doivent apporter à « l'Armée syrienne libre (ASL) les moyens matériels et symboliques dont elle a besoin (…) ils doivent la soutenir, l'améliorer, la renforcer et la rejoindre ...

Les musulmans, et notamment le CFCM qui est censé les représenter, préfèrent, selon vous, éluder cette question pour éviter les amalgames. Mais en faisant ainsi «la politique de l'autruche» ne risquent-ils pas au contraire de donner le sentiment qu'ils font preuve de complaisance envers les djihadistes? Ne devraient-ils pas faire preuve de plus de clarté?

Il y a des ambiguïtés, ambivalences, voire des contradictions, de la part de certaines instances de l'islam de France et de leurs principaux responsables. Prenons un exemple très concret: le 7 février 2012, 107 personnalités musulmanes, oulémas et intellectuels islamistes notamment, ont édité une déclaration en arabe, une prise de position pourrions-nous ajouter, à propos du conflit syrien. Or il se trouve que parmi les rédacteurs et signataires de cette déclaration, il y a de très proches collaborateurs de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), à l'instar de Youssef al-Qaradawi, président de l'Union mondiale des oulémas musulmans, de Issam al-Bachir (ancien ministre des Affaires religieuses au Soudan et régulièrement invité au Congrès annuel du Bourget, en tant que membre du Conseil européen de la fatwa et de la recherche qui est une espèce de prolongement institutionnel de l'UOIF à l'échelle européenne), ou bien encore Rachid al-Ghannouchi, leader du mouvement islamiste tunisien Ennahda et également membre du Conseil européen de la fatwa et de la recherche. Si l'on prête attention au contenu de ladite déclaration, certaines formulations n'excluent absolument pas un appel au moins tacite à une implication militaire de la part des musulmans du monde aux côtés de ceux qui sont appelés «les révolutionnaires».

Dans cet appel précisément, on peut lire, entre autres choses, que les musulmans doivent apporter à «l'Armée syrienne libre (ASL) les moyens matériels et symboliques dont elle a besoin (…) ils doivent la soutenir, l'améliorer, la renforcer et la rejoindre, afin d'assurer la défense des civils, des villes et des institutions (…) d'aider les révolutionnaires en Syrie de ce dont ils ont besoin en termes de moyens matériels et symboliques (…)», etc. Youssef al-Qaradawi, qui jouit d'une véritable titulature morale et d'une autorité théologique certaine auprès des membres de l'UOIF, de ses militants et sympathisants, comme Tariq Ramadan pour ne citer que lui, mais aussi bien au-delà du reste, a été plus direct en juin 2013 en déclarant que le djihad en Syrie est demandé du musulman pour combattre le régime de Bachar al-Assad et le Hezbollah

Asmar Lasfar qui déclarait pourtant avant et au début du Congrès du Bourget Farida Belghoul, initiatrice des JRE (Journées de retrait de l'école),persona non grata, n'a pas empêché cette dernière de se produire à l'occasion d'une table ronde.

Au-delà des instances plus ou moins officielles, l'islam ne manque-t-il pas de voix fortes dans la société civile?

Ce silence peut effectivement être le révélateur d'un échec ou d'une impuissance à acquérir une véritable représentativité, visibilité et légitimité dans l'espace public français. Mais l'UOIF, par exemple, bénéficie néanmoins d'une base sociale qui est mesure de lui donner une armature. Plus fondamentalement, je crois que l'absence de déclaration forte de principe, de clarté ou de lisibilité idéologique, de la part de ces instances, ne fait que renforcer le halo de suspicion qui pèse sur elles, et ce, à tort ou à raison. Par ailleurs, à leurs yeux, de l'UOIF en particulier, la priorité actuelle est à la lutte contre l'islamophobie et à la préservation des valeurs familiales qui seraient menacées par le mariage pour tous et «la théorie du genre». À ce propos, Amar Lasfar, qui déclarait pourtant avant et au début du Congrès du Bourget Farida Belghoul, initiatrice des JRE (Journées de retrait de l'école) de janvier, février et mars 2014, persona non grata, n'a pas empêché cette dernière de se produire à l'occasion d'une table ronde. Double langage? Contradiction? Clivages internes? Ces interrogations méritent d'être posées.

Quant à la dernière partie de votre question, il existe une diversité de voix et d'options au sein du champ islamique français. C'est par conséquent en premier lieu une responsabilité des médias que de leur donner la parole, ne serait-ce que pour mesurer ou apprécier cette diversité. De ce point de vue, je ne m'explique pas, à titre personnel, pourquoi tendre systématiquement le micro à Tariq Ramadan qui est suisse et passe aujourd'hui l'essentiel de son temps à Doha au Qatar. Il est au demeurant de plus en plus en déphasage avec les réalités sociales et religieuses de notre pays.

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